Communiqué de presse
La FNAUT (Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports), supplétive de l’Etat et de la direction de la SNCF ?
C’est avec consternation, pour ne pas dire plus, que le comité directeur de l’association Thur Ecologie & Transports, a pris connaissance du communiqué de presse de la FNAUT du 11 mai dernier (1).
Sous son titre : « La grève des cheminots a assez duré, les voyageurs sont à bout. Elle doit cesser rapidement, sa prolongation est dangereuse pour l’avenir du rail. » (sic), la fédération estime que si les usagers du train subissent cette lourde tracasserie, ce sont les grévistes qui en portent la responsabilité, exonérant la direction et surtout l’Etat de leur responsabilité pleine et entière de la situation lamentable de la SNCF.
Tout le monde sait que la dette financière de la SNCF incombe totalement à l’Etat, mais aussi aux très nombreux élus locaux de gauche comme de droite, qui lui ont imposé de réaliser des lignes TGV et LGV sans lui donner les moyens financiers, en l’obligeant à emprunter massivement sur les marchés financiers qui se gavent sur le dos de la « bête » ! Le statut des cheminots représente peanuts dans cette histoire !
En parallèle, le 3 mai déjà, FNAUT et CNCAUT (2) prennent une initiative convergente : réclamer le remboursement des abonnements pour le TGV, l’Intercité, le Transilien, le RER et le TER. Voilà en effet une revendication méritoire, sur le plan moral, communicatif, et après tout légitime. Mais autant cracher en l’air…
Pour ce créneau, c’est la FNAUT qui « prend le train en marche », la CNCAUT (sauf erreur) vient d’être créée en réaction au projet de la grève perlée des cheminot-es, avec le soutien de FNAUT locales. Enfin, son bureau national soutien la jeune coordination, concurrente. Les deux structures ont fait une pétition, réclamant la fin de la grève, et aurait récoltée 67 000 signatures. Cela paraît impressionnant, soit ! Mais comparé aux 4,5 millions de voyageurs quotidiens, cette « représentativité » reste après tout marginale (env. 1,5 %) ; d’autant plus, en la comparant avec le taux de grévistes des personnels SNCF, certainement bien plus honorable. Et que dire alors du sondage/référendum organisé par les syndicats du chemin de fer (95 % sur 61 % de salarié-es votant-es, contre la réforme) ?
Que dire ? Mais simplement que c’est le jusqu’au-boutisme de l’Etat qui met en danger l’avenir du rail, et qui méprise les usagers. Et pourquoi pas, rappeler également que des usagers solidaires des cheminot-es, même s’ils/elles sont minoritaires, ne comptent pas pour du beurre.
De l’insupportabilité pour les voyageurs
L’offensive générale du président Macron et de LREM sur l’ensemble du champ social, si elle arrive à terme, « tiers-mondisera » une grande majorité des classes populaires. La « réforme » de la SNCF – sous la pression, ou non, de la Commission de Bruxelles – n’est qu’une pièce du puzzle macronien, essentielle dans le cadre des rapports entre le pouvoir et le monde du travail. Le bureau national de la FNAUT ne saurait l’ignorer.
Celle-ci ne pipe mot d’ailleurs sur la question du statut des cheminot-es, faut-il en déduire son désintérêt pour les questions contractuelles des travailleurs et travailleuses de ce pays ?
La « direction » de la FNAUT exprime pourtant son souci dans son communiqué de presse, précisant que « les plus pénalisés sont les salariés modestes, travailleurs précaires, étudiants, lycéens (…) ». Elle aura alors de quoi se soucier après le passage d’E. Macron à l’Elysée.
Du danger pour le système ferroviaire
Prétendre que le chemin de fer est en danger par la faute des grévistes, c’est fort de café : les retards endémiques des trains sont dûs à l’organisation de la production et certainement pas à une raison statutaire. La déception de nombreux voyageurs est aussi en partie due à cette organisation, ainsi qu’aux très mauvais entretiens du réseau dans de nombreuses régions, hors du réseau TGV.
Affirmer que la grève oblige la direction de la SNCF à emprunter pour son fret les camions, est une véritable provocation ! Personne aujourd’hui, pour qui s’y intéresse, n’ignore que c’est bien cette dernière qui tue à petit feu le fret rail.
Rappelons que la SNCF a pour filiale Géodis, entreprise de plus de 10 000 poids lourds, soit le plus important transporteur routier français.
Rappelons surtout, qu’après avoir atteint le maximum en valeur absolue en 1974 avec 72,4 Milliards de tonnes/km de marchandises avec le rail, il n’en est plus qu’à 32 Mds en 2013, dont 40 % sont transportés par des concurrents privés (Euro Cargo Rail, VFLI, Europorte et T3M), alors qu’en 40 ans les échanges de biens ont explosé.
Le fret rail est structurellement en baisse au fur et à mesure de l’accroissement du fret routier. En 1950, le taux pour le transport de marchandises par rail était de 60 %, il tombe à 25 % en 1985, pour émerger à peine à 9 % actuellement.
L’Etat cherche éperdument à rentabiliser le rail, ou plutôt, à éponger ses dettes, dont il a en partie hérité. Mais plutôt que de fiscaliser ce moyen de transport, il organise d’une part, le démantèlement du fret et un investissement monstre pour le TGV, et d’autre part, il taxe le transport individuel (la voiture) pour investir dans les autoroutes qu’empruntent les camions.
Rappelons encore que pour réduire la dette, depuis des années, l’Etat propose le démantèlement avec la privatisation des secteurs rentables. Or les investisseurs privés ne se bousculent pas à s’engager pour le fret rail, tant que le transport routier ne sera pas régulé (taxe carbone, dumping social…), et sans soutien politique et financier de l’UE.
Les caisses sont vides, les coffres sont pleins
L’investissement du TGV et des LGV s’est opéré au détriment du « réseau secondaire » (Intercité, TER…) sans amoindrir la dette. Celle-ci aura profité aux marchés financiers : En 2010, SNCF Réseau investit 3,2 Mds d’euros tout en percevant 2,2 Mds de subvention. Il faut donc emprunter sur les marchés pour trouver le milliard manquant. Deux ans plus tard, les investissements s’élèvent à 4,3 Mds/€, alors que l’Etat ne libère que 1,2 Md. Nouvel emprunt. En 2015, alors que la SNCF doit débourser 5,3 Mds, elle n’en reçoit de l’Etat qu’1,1 Md. Cette même année, les subventions ne couvrent que 23 % des besoins. Le recours à l’emprunt ré-augmente. Depuis, les subventions consenties par l’Etat restent largement inférieures aux montants des travaux… C’est pourtant bien l’Etat qui ordonne ! « En 2017, 5,4 Mds/€ ont été investis pour la régénération du réseau. 2,2 Mds fut versés par l’Etat. Le reste en emprunt », selon J. R. Delépine du syndicat Sud rail (3). A ce système structurellement déficitaire, s’ajoute le fait qu’« SNCF Réseau doit payer les intérêts de sa dette passée », selon A. Coldrey, économiste, « Or, elle n’a plus aucune ressource pour payer ces intérêts puisque celles-ci ont été utilisées pour l’investissement : elle doit donc s’endetter pour les payer. » Ces dix dernières années, la charge de la dette – 10,3 Mds/€ seulement pour les intérêts – pèse plus lourd que l’entretien et le développement du réseau – 7,2 Mds/€ ! « Quand la SNCF emprunte 100 € pour le réseau, elle ne peut en utiliser que 41. Les 59 restants sont ponctionnés par le système financier », détaille A. Eymery, du cabinet Degest.
Usagers ou clients ?
Le bureau fédéral de la FNAUT est bien renseigné sur la politique ferroviaire imposée par l’Etat. Alors pourquoi taper sur les grévistes ? Par démagogie ? Ou bien alors, le « sommet » fédéral a-t-il « épousé » la doxa néo libérale, faisant le choix d’un consumérisme du voyage au détriment d’un service public de qualité (pour les usagers), et de la défense des salarié-es ? Vu que c’est l’inverse qu’a ont choisi l’Etat et la direction des chemins de fer : tout pour le TGV ! Dans ce cas, la FNAUT doit changer de nom, remplacer usagers par clients.
Par ailleurs, la FNAUT encourage l’ouverture à la concurrence du réseau ferré, prétendant que cette évolution ira dans le bons sens pour les usagers/clients (forcément, qui dit concurrence, accepte le règle concurrentielle). Ainsi, la fédération assume la compétition entre tous et toutes. Faisant fi des positions de ses associations membres telle que Thur Écologie & Transports, qui au contraire, encourage plutôt les grévistes à tenir afin que l’Etat revienne sur sa politique sournoise au profit de la spéculation, du tout routier pour les marchandises et du mépris de l’effet de serre. L’« ouverture à la concurrence », en amont de la privatisation future de lignes les plus rentables (et de la suppression de 9 000 km de voie moins rentable, quoi qu’en dise le 1er Ministre) ne garantit en rien les vœux formulés par la FNAUT : il suffit de se retourner sur toutes les privatisations déjà opérées par le passé, pour constater des dégâts sociaux conséquents. Là où la libération du marché est faite, les prix sont substantiellement accrus, en France comme chez nos voisins. Quant à son efficacité structurelle et technique, on ne compte pas que des prouesses chez nos voisins européen pour le rail, loin s’en faut. C’est même l’inverse, pour exemple la Suède qui a libéralisé le rail il y a 30 ans : les usagers, fatigués des retards et des suppressions de trains, demandent la renationalisation du réseau !…
En conclusion
Les instances de la FNAUT, plutôt que de publier un communiqué de presse assassin, sans l’aval de ses associations membres, devraient se ressaisir et soutenir avec fermeté la lutte des cheminot-es, tout en informant les usagers que pour l’avenir du train et du service qu’il leur rend, ils et elles sont en droit également de les soutenir. Comme l’ont fait Reagan aux USA et Thatcher au Royaume Unis, l’attaque contre les cheminot-es consiste à vouloir faire plier les organisations des salari-es les plus puissantes, afin de s’ouvrir un boulevard pour des réformes encore plus sévères, face à une résistance fragilisée. Ainsi, c’est tout le service public français qui suivra !
Pour Thur Ecologie & Transports, Jano Celle, le 28 mai 2018.
(1) Fédération nationale des associations des usagers du transport :
(2) Coordination nationale des collectifs et associations des usagers du transport. http://www.sos-usagers.com/commu/index.php/2018/04/29/858-greve-la-cncaut-coordination-nationale-des-collectifs-et-associations-reclame-une-veritable-indemnisation#co
(3) DetteSNCFBasta3avril2018 (sur le site de Bastamag).