GIEC : La question des inégalités est fondamentale

Climat : « La question des inégalités est fondamentale ; elle est au cœur du rapport du Giec »

Interview paru sur :

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Pour maintenir le réchauffement climatique au-dessous de 1,5 °C, il faut réduire drastiquement et rapidement les émissions de gaz à effet de serre. Tel est le message central du rapport du Giec publié lundi 8 octobre. Explication par l’un des ses auteurs, le chercheur Henri Waisman.

En décembre 2015, les représentants de 195 nations adoptaient l’Accord de Paris. Celui-ci fixait l’objectif de limiter le changement climatique en-dessous de 2 °C par rapport à l’ère pré-industrielle, et « poursuivre les efforts pour le limiter à 1,5 °C. » Mais quelle différence entre 1,5 °C et 2 °C de plus ? Est-il encore possible de se limiter au plus bas ? Pour répondre à ces questions, le Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) a préparé un rapport : il a été discuté la semaine dernière en Corée du Sud, et publié lundi 8 octobre au matin. Henri Waisman, chercheur à l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et un des coordinateurs du rapport, a répondu aux questions de Reporterre depuis Séoul.

Reporterre — Quelle différence entre un réchauffement de 1,5 °C par rapport à l’ère pré-industrielle et un réchauffement de 2 °C ?

Henri Waisman — Les résultats montrent que sur un ensemble de systèmes, les impacts sont significativement plus faibles à plus 1,5 °C qu’à plus 2 °C et que pour certains systèmes, on peut éviter des effets irréversibles.

Par exemple, le phénomène de fonte totale de la glace dans l’océan Arctique pendant l’été arriverait une fois tous les cent ans dans un scénario à 1,5 °C, alors que cela risquerait d’arriver une fois par décennie dans un scénario à 2 °C.

Il ne faut donc pas s’attendre à des effets linéaires, mais à des effets d’accélération extrêmement importante des impacts. Chaque petite augmentation de température a un impact significatif sur tous les systèmes.

Quelles conséquences cela a-t-il du point de vue des sociétés humaines ?

La question des inégalités est fondamentale et elle est au cœur de ce rapport. Il montre qu’un scénario à 1,5 °C plutôt que 2 °C rend beaucoup plus facile l’atteinte des objectifs du développement durable, et en particulier la réduction de la pauvreté et des inégalités [ce scénario indique que plusieurs centaines de millions de personnes de plus risqueraient d’être fragilisées et plongées dans la pauvreté dans le cadre d’un réchauffement à 2 °C plutôt qu’à 1,5 °C]. Ce qui pose en regard la question de comment, tout en réduisant très fortement les émissions de gaz à effet de serre, ne pas affecter négativement ces populations.

Face à ce tableau, la bonne nouvelle du rapport est que l’on peut encore limiter le changement climatique à + 1,5 °C. Quels sont les scénarios pour y parvenir ?

Ils se distinguent par deux éléments fondamentaux, liés entre eux : les émissions négatives — on enlève du carbone de l’atmosphère —, et en relation avec cela, l’ampleur des actions à court terme qui sont menées pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Ensuite, les scénarios proposent différents rythmes d’évolution de la trajectoire, avec notamment un facteur : dans quelle mesure ces scénarios considèrent-ils un dépassement du 1,5 °C avant d’y revenir ? Dans certains scénarios, ce dépassement [désigné par « overshoot » dans le texte en anglais du rapport] est important et dans d’autres, il est soit absent, soit limité.

Vous parlez d’émissions négatives. Tous les scénarios en prévoient donc, à plus ou moins grande échelle. De quoi s’agit-il ?

Un premier type de solution à émissions négatives s’appuie sur la technique du captage du CO2 en combinaison avec la bio-énergie. Ce sont les solutions que l’on appelle BECCSbioenergy with carbon capture and storage. Elles s’appuient sur les plantes qui, quand elles poussent, captent et donc retirent du carbone de l’atmosphère. Ensuite on les brûle dans une centrale qui fait de l’électricité, mais n’émet pas de CO2, car il est capté à la sortie de l’usine et envoyé sous terre. Au total, l’ensemble de la solution permet d’extraire du carbone de l’atmosphère. La deuxième grande famille de solutions sont toutes les actions à mener pour étendre les forêts, qui sont des puits naturels de CO2.

Tous les scénarios qui vont à 1,5 °C mobilisent à un moment ou un autre des solutions pour retirer du carbone de l’atmosphère, mais la quantité des émissions retirées et le type de solution technologique à mobiliser pour le faire va varier très fortement. En particulier, la première famille de scénarios montre qu’avec des actions extrêmement rapides à court terme pour faire décroître fortement les émissions, on peut ne pas avoir besoin de captage et stockage de CO2, et avoir uniquement besoin d’un petit peu de solutions liées à la forêt.

Y a-t-il donc des scénarios plus souhaitables que d’autres ?

Notre analyse montre surtout que beaucoup des options possibles pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ont des effets positifs sur les objectifs de développement durable. Par exemple, une des choses fondamentales dans un scénario à 1,5 °C, c’est de réduire très drastiquement la part des carburants fossiles et leur rôle dans le système économique. Cela aurait des effets extrêmement bénéfiques sur la santé, notamment dans les villes, car ces carburants émettent à la fois des gaz à effet de serre et des polluants locaux.

A vous entendre, on comprend qu’il faudrait un sursaut historique pour arriver à ce scénario de seulement 1,5 °C de réchauffement. Les discussions de cette semaine, qui ont réuni les représentants des pays de l’Accord de Paris, vous ont-elles donné espoir ?

Cette semaine, on avait en face de nous des délégués de tous les gouvernements du monde. Les discussions ont été animées et riches. Elles montrent un intérêt très important de tous les pays du monde qui manifestement prennent le sujet au sérieux. La préoccupation des participants était de s’assurer que les messages publiés dans le résumé du rapport, dit « pour les décideurs », soient suffisamment clairs, accessibles et utilisables dans le processus de décision réel.

Pourtant, en Allemagne, la forêt de Hambach a été évacuée des militants qui s’opposent à ce qu’elle soit rasée au profit d’une mine de charbon. La Pologne, qui accueille à la fin de l’année la prochaine conférence des parties sur le Climat ne semble pas prête à arrêter le charbon non plus. On ne peut pas dire que tous les signaux soient au vert…

Ce qui ressort clairement de l’évaluation que l’on a faite de la littérature est que les contributions nationales des pays – leurs engagements en terme de réduction d’émissions – sont très significativement insuffisantes pour atteindre un scénario de 1,5 °C d’ici la fin du siècle [Au rythme actuel, selon le rapport, on atteindrait 1,5 °C entre 2030 et 2052]. Il y a donc besoin de réviser ces contributions nationales. C’est tout le processus en cours à la suite de l’Accord de Paris.

Mais rappelons qu’au moment de cet Accord, la littérature scientifique sur un scénario à 1,5 °C était quasiment inexistante, tout simplement parce que à l’époque l’objectif de 2 °C paraissait déjà ambitieux. Donc le simple fait que ce rapport ait été commandé, et que le Giec ait accepté de s’en saisir, a conduit à une accélération extrêmement rapide de la littérature scientifique sur ce sujet au cours des deux dernières années. Un cercle vertueux a été créé : des connaissances scientifiques plus détaillées ont été produites, avec l’objectif d’informer les discussions en cours au sein de la communauté internationale, et dans chaque pays.

  • Propos recueillis au téléphone par Marie Astier

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