La journée du 5 décembre aura marqué une nouvelle étape de l’histoire des luttes
Celle du nombre de paricipant-es dès le premier jour, celle d’une convergence se concrétisant
Photo Reporterre
Primo, à contrario des grandes mobilisations d’y hier, où les travailleureuses gonflaient les manifestations au fur et à mesure de l’insensibilité affichée des gouvernements concernés (sans remonter trop dans le temps) : 1995 et l’attaque sur les statuts des futurs retraité-es du Public ; puis en 2006 contre l’article 8 (le CPE) de la loi sur la négociation collective ; en 2010, à nouveau pour la défense des retraites du privé et du public ; enfin, moins mobilisateurs les luttent contre les lois travail de 2016 – mais avec un dure grève des cheminots déjà, puis 2018, ce 5 décembre – quoi qu’en disent le PPA (le parti de la presse et de l’argent) – aura mobilisé entre 1 et 1 million & demi de manifestant-es. A cela s’ajoute les milliers (oui, des milliers) d’appel à la grève aussi bien dans le public que dans le privé.
D’emblée donc, ce premier jour offensif dépasse déjà le million de participant-es (une première), et tout laisse à penser que le combat contre la politique néolibérale se prolongera à minimal jusqu’au réveillon et gonflera la participation si Macron et sa bande ne font pas marche arrière.
Secundo, la convergence tant espérée par le « mouvement social » s’affirme un peu plus : mot d’ordre et revendications diverses sont exprimées à tout va : défense des retraites, pour les services de proximité, la défense du climat, contre l’enfouissement des déchets irrémédiablement toxiques, contre le chômage et la précarité, etc. Finalement contre Macron et son monde !
Début également d’une convergence entre les profs, les pompiers, les personnels de santé, du transport, du commerce et de l’industrie, bref, de l’ensemble des secteurs d’activité et de branche…
Convergence encore entre salarié-es syndiqué-es et non syndiqué-es, gilets jaunes, écolos…
Les temps sont de plus en plus difficiles pour presque tous et toutes, quelle que soit la latitude, les classes populaires sont en lutte dans de nombreux pays. Ici en France, les contres réformes et les dégradations des droits sociaux, des conditions d’existence et des droits fondamentaux ont engendré non plus une « fracture sociale » – formule chiraquienne pour faire abstraction de la lutte des classes – mais bien une fracture profonde et définitive entre le peuple des travailleureuses et les classes dirigeantes (gouvernement, patronat).
Les tenants du capital n’ont que faire de l’écologie – se vautrant dans un environnement charmant. Ils n’ont que faire des travailleureuses – puisque ne manquant de rien (matériellement parlant). Cette caricature, illustrant la réalité, les classes populaires n’en veulent plus !
Prenons en exemple la logique de profit et de la rentabilité jusqu’au-boutiste, avec cet article paru dans Alterpresse, à travers le prisme du service public :
A l’orée du 5 décembre, sauvegarder et étendre le service public :
un exemple à Mulhouse et en France
Le service public de plein exercice regagnera-t-il ses lettres de noblesse, à l’heure où l’ordre économique néolibéral et les modèles de croissance, de production et de consommation parviennent à saturation, et sont doublées d’une impasse idéologique manifeste ? Il y a loin de la coupe aux lèvres lippues des libéraux libidineux.
Selon un sondage publié récemment par l’institut Odoxa, 9 Français sur 10 considèrent comme essentiel de préserver les services publics de proximité. Dans la perspective des prochaines élections municipales, cela ne peut que forcer les candidats et candidates à s’interroger sur l’immense attente des concitoyens, électeurs, en la matière.
Or, qu’est-ce que fournit, en dernier ressort, un service public, sinon garantir un principe d’égalité devant l’expression d’un besoin ? Le service public c’est en théorie la promesse d’un accès à une prestation qualitative, dans une perspective durable et à un tarif équitable. Son objet n’est pas la génération de profits, mais l’utilité sociale dans l’intérêt public.
Le prix du timbre-poste en est un bon exemple : en payant votre timbre rouge 1,05 euro, vous ne payez pas le vrai prix du transport de votre lettre. Si vous habitez Mulhouse et que votre courrier se destine à Strasbourg, le cout réel sera plus bas que s’il devait être distribué à Brest. Pourtant le service public postal vous oblige à payer 1,05 euro pour les plis de moins de 20 grammes*. Un mécanisme de prix moyen solidaire intervient donc : la péréquation. Les activités déficitaires d’une administration sont compensées par les recettes perçues auprès d’autres usagers.
* Il peut y avoir de la concurrence à partir de 50g, mais le cout est trop élevé pour le secteur privé, si bien que La Poste n’a toujours pas de concurrent en France !
Photo Alterpresse
Le service public comme objet flottant mal identifié
Le problème est que la notion de service public est un objet de conception gigogne, puisqu’il désigne à la fois une activité d’intérêt général proposée à la population, et un modèle d’organisation économique qui en assure la transcription dans le réel.
On a d’ailleurs souvent tendance à se méprendre sur le sens donné à ce concept politico-administratif, compte tenu sa dimension protéiforme.
Afin d’appréhender ses contours, on peut donc s’amuser à illustrer les subtilités du service public, en s’aidant de l’exemple donné par un bien aussi liquide et vital que l’eau.
Examinons donc les quelques états économiques de la molécule, dans diverses configurations de rapport au service public.
Un service public est-il nécessairement un bien public ?
Le bien public universel le plus élémentaire et fondamental, pour toutes et tous, est bien sûr l’eau de boisson.
Le service public consiste donc dans le principe de distribution du précieux liquide. Mais l’eau peut également être dénaturée par une société commerciale, et se transformer en une vulgaire marchandise : ainsi, l’eau minérale Vittel, mise en bouteille par la société Nestlé Waters, laquelle ne fait que capter une ressource naturelle à titre privatif, utilise la même nappe phréatique que la régie municipale des habitants de Vittel !
Le fait est que Nestlé surexploite éhontément la nappe phréatique municipale, à tel point qu’il est prévu de prélever l’eau ailleurs qu’à Vittel pour assurer le besoin des habitants, tandis que la société Nestlé continue de se servir autant qu’elle le veut dans la nappe originelle !
C’est dire combien les effets de la puissance commerciale d’une multinationale peuvent aisément dénaturer et pervertir le principe d’accessibilité continue garanti, en principe, par le service public…
C’est une tendance lourde en situation d’économie néolibérale : la logique du public est supplantée, voire gangrénée, par le court-termisme, lequel oriente la finalité gestionnaire et lucrative du secteur privé. En France, la distribution des eaux municipales par des sociétés privées se traduit souvent par un surcout de l’ordre de 15 à 30% pour le consommateur.
Heureusement, les populations sont de plus en plus hostiles à cet accaparement indu d’un bien public, et de nombreuses villes reprennent le contrôle de la distribution de l’eau, sous la forme de régies publiques.
Le service public procède-t-il nécessairement du secteur public ?
La distribution de l’eau peut être assurée par des entreprises publiques, qui sont distinctes, dans leur fonctionnement et leur mode de gestion, d’une administration publique. « Eau de Paris » en est un exemple. C’est ce que l’on nomme un EPIC*, qui appartient à la ville de Paris depuis 2010, depuis que celle-ci a décidé de reprendre en main la distribution de l’eau au secteur privé, qui faisait très mal son boulot, et surfacturait les usagers.
*Établissement public à caractère industriel ou commercial
Mais les entreprises commerciales peuvent également intervenir dans le cadre du service public. On appelle cela une délégation de service public (ou DSP). Une spécialité française très goutée, y compris à Mulhouse. Par exemple, lorsqu’une municipalité confie la gestion de la distribution de l’eau à Véolia ou GDF-Suez.
A Mulhouse, la distribution reste assurée par une régie municipale, car les maires successifs en ont décidé ainsi. Pour autant, c’est M2A (l’agglomération mulhousienne) qui va prendre en charge cette compétence à partir du 1er janvier 2020.
Il se pourrait donc que les communes de l’agglomération desservies par l’eau de Mulhouse décident, un jour, de confier sa distribution au secteur privé. Avec toutes les chances de bénéficier d’un moindre service, et d’une plus grosse facture !
Le service public est-il toujours rendu en situation monopolistique ?
On vient de voir que non. Les sociétés Veolia ou GDF Suez, par exemple, qui assurent la distribution de l’eau dans certaines villes, commercialisent également du gaz, de l’électricité, recyclent des déchets, etc. La flotte, c’est donc le nouvel or bleu de ces sociétés !
Pour achever ce petit exercice d’explicitation moléculaire du service public, assurons-nous d’abord que notre société ne tourne définitivement en d’immenses sévices publics, par destruction méthodique de tout ce qui nous appartient en propre, n’a qu’une valeur d’usage, et concourt par-dessus tout à faire société.
Ne pas laisser couler le service public
Une année après le mouvement des gilets jaunes, et face à un gouvernement peu amène en matière de subtilités sociales, beaucoup de slogans relaieront et appuieront des appels à cesser la démolition des services publics, et même à en exiger leur retour massif, lors de la manifestation du 5 décembre.
Une exigence que l’on va assurément réentendre durant toute la séquence sociale et politique qui ouvre vers la tenue des élections municipales de 2020, et suivra, bien au delà encore.
En finir avec ce vieux monde
Dans les domaines économiques aussi bien qu’écologiques, les manipulations, les mensonges et le mépris politique sont d’une évidence, elles incarnent le réel projet de Macron – ce que des dizaines de millions de gens on compris et qu’avaient révélé les gilets jaunes, nourrissant une tension sociale qui va crescendo depuis la mandature de Hollande. De plus en plus de personnes désirent se joindre à un mouvement de ras le bol, de colère et de révolte. Ça craque de partout, et tout le monde craque. En premier lieu chez les décideurs : plus les étés deviennent caniculaires, plus on brûle de pétrole ; plus les insectes disparaissent, plus on y va sur les pesticides ; plus les océans se meurent dans une marée de plastique, plus on en produit ; plus le monde de l’entreprise devient toxique, plus ses pires techniques de management se généralisent ; plus les gens souffrent de misère, plus les rues regorgent de publicité ; plus la police cogne, plus elle se victimise, etc. Ce processus de renversement de toute vérité parsème le monde, il faut donc arrêter cette mascarade qui mènent tout droit les peuples vers l’abîme fascisant, où nous mène le capitalisme lorsque ses adeptes craignent pertes et profits. La grève est le moyen le plus adapté pour contrer les nauséabondes velléités. Si elle dure et ne s’arrête pas après quelques ridicules concessions, entérinant d’autant plus la continuité des dégradations.
La société et les travailleureuses ont des aspirations qui évoluent, dans un monde irrémédiablement finit, il est grand temps, aujourd’hui plus qu’y hier, de bâtir une société de justice, de travail et d’environnement sain.
Sur un autre registre, on dit de certains et certaines personnes, qu’ils et qu’elles n’ont plus rien à perdre, c’est faux, après la pauvreté, vient la misère, puis vient la maladie, parfois la haine, enfin, des existences gâchées.
Contre la fin du monde, pour une fin du mois, même combat !
Jano Celle, le 7 décembre 19.