Appel pour des assises de l’eau, la forêt
et de l’agriculture de montagne
Dans notre région, comme un peu partout dans l’hexagone, en Europe et dans le monde, le déficit pluviométrique global, qui s’accentue année après année, entraîne une forte baisse des débits de tous les cours d’eau provenant du massif vosgien, provoquant un assèchement des sols tant en surface que, progressivement, en profondeur. Afin de combler un déficit croissant, il faudrait qu’il fasse « mauvais temps » avec environ 20 mm de pluie quotidienne durant des semaines . Ce que nous ne sommes pas prêt de pouvoir admirer. Et les précipitations de ces derniers jours, si elles permettent de lever les restrictions quant à son utilisation, elles n’abreuveront que très partiellement les nappes phréatiques.
Ce pourquoi nos camarades de la Vallée de la Thur ont décidé de lancer publiquement un appel afin de développer des pratiques – en toute considération écologique – en tenant compte des difficultés naturelles qui vont malheureusement progresser avec le temps.
Par Elisa MEYER – Dernières Nouvelles d’Alsace – 02/10.20.
Vallée de Saint-Amarin : TET et Alsace Nature demandent des assises de l’eau, de la forêt et de l’agriculture
Daniel Walter, président de Thur Écologie et Transports, et Albert Gasser, du groupe local Thur-Doller d’Alsace Nature, sonnent l’alarme au sujet de l’état de la forêt et des cours d’eau dans la vallée de Saint-Amarin et dans son proche périmètre. Ils demandent que se tiennent, le plus tôt possible, des assises de l’eau, de la forêt et de l’agriculture.
« Les journées du patrimoine viennent d’avoir lieu. Pourtant, trois de nos patrimoines parmi les plus emblématiques de notre vallée en ont été les grands absents. Pourtant, ils sont parmi les plus menacés : nos forêts, le château d’eau que constitue le massif ainsi que l’agriculture de montagne. La forêt est notre bien commun. Elle a d’autres fonctions que d’être productiviste et source de revenus », s’agacent Daniel Walter, président de l’association TET ( Thur Écologie et Transports ) basée à Saint-Amarin et Albert Gasser, pilote de l’antenne locale d’ Alsace Nature.
Daniel Walter et Albert Gasser précisent : « Cette année, l’à-sec a duré des mois à l’amont et à l’aval de Wildenstein. A l’aval du village c’est assez fréquent -il y a une perte- mais l’à-sec n’a jamais duré aussi longtemps. L’eau empruntant le lit de la Thur et qui subsiste dans la traversée du village provient exclusivement de la seule « source de la vierge ».
Ils demandent aux élus locaux de se saisir de ce sujet qu’ils estiment « central » et réclament des assises de l’eau, de la forêt et de l’agriculture de montagne pour le secteur de la vallée de Saint-Amarin, en urgence.
Un déficit de pluviométrie de l’ordre de 30 %
Selon eux, les dégâts sont visibles partout. « Il suffit d’aller se balader pour le constater. « La Thur est à sec de Wittelsheim à Ensisheim. Tous les poissons sont morts ainsi que toute la faune aquatique, dans l‘indifférence générale. La situation commence à être dramatique au niveau de Cernay. Le secteur enregistre un déficit de pluviométrie de l’ordre de 30 %. Il en va de même au-dessus de Kruth, Wildenstein et Oderen », déplorent-ils, photos à l’appui. D’ailleurs, cela a un impact direct sur l’état de la forêt puisque, pour se développer, elle a besoin de pluie. N’oublions pas que la forêt est également un stock d’eau pure et un réservoir de biodiversité. 80 % de l’eau emmagasinée par l’arbre retourne à l’atmosphère par transpiration. L’arbre est donc un puits de carbone et un puits d’eau pure pour l’atmosphère. Par l’ombre, il garde aussi l’humidité dans le sol environnant. »
À part les érables, toutes les essences de production sont atteintes ou affaiblies
Le constat est loin d’être meilleur en ce qui concerne la forêt. « Il n’y a plus que les érables qui soient encore à peu près épargnés. Toutes les autres essences sont atteintes. Les hêtres abroutis ressemblent à des bonsaïs. Depuis 2019, de grandes taches grises et claires sont apparues dues aux épicéas et sapins secs. Les scolytes se sont installés. Les frênes sont atteints de chalarose, les ormes de graphiose. Les chênes d’Amérique, pédonculés et rouvres, sont en recul ainsi que les charmes. »
Selon les représentants des deux associations, le dérèglement et le réchauffement climatiques ne sont pas seuls en cause. « La surdensité des animaux dans la forêt, même si ça va en faire bondir certains, n’est pas étrangère à ce phénomène. Nous ne sommes pas hostiles à la chasse à condition qu’elle assume véritablement le rôle de régulation, sans quoi il n’y aura plus ni régénération naturelle ni plantations possibles à moins de tout clôturer, ce qui est financièrement impossible. La chasse, source de revenus, ne doit plus fonctionner en autonomie. Si l’on ne fait rien, le risque est que la forêt se transforme en maquis ou en garrigue, à long terme, puisqu’elle diminue en hauteur et en densité. Après la tempête Lothar de 1999, la régénération naturelle avait été préconisée, nous continuons à la défendre, en comptant sur la naturalité et la diversité pour empêcher ou réduire les maladies et sur l’adaptabilité des arbres à la sécheresse. »
Des panneaux interdisant l’accès sur certains sentiers forestiers
Daniel Walter et Albert Gasser sont également inquiets concernant les éventuelles interdictions d’accès sur certains sentiers forestiers à cause des risques de chutes de branches ou d’arbres dans les parcelles qui dépérissent. « Il ne manque plus que les arrêtés des maires… Dans un proche avenir, on ne pourra plus se promener comme bon nous semble. Les forêts se portant mal, s’il se produit un accident, cela engage la responsabilité des communes… Il est impératif que le sujet soit pris en main collectivement. Nos maires ne peuvent pas tout faire », grondent les deux hommes.
Forts de ces constats, les représentants des deux associations insistent : « Il faut mener une réflexion globale autour de ces sujets. Les laisser de côté alors que le pays plébiscite enfin l’usage du vélo est un non-sens absolu. De ce que nous savons, il n’existe plus, au niveau de l’instance intercommunale, de commission « forêt ». Mais peut-être vont-ils encore la créer ? Pour l’heure, les élus s’adressent aux techniciens, malheureusement de moins en moins nombreux, de l’Office national des forêts (ONF), référente en la matière. Nous entendons parler de mosaïque d’essences et d’arbres génétiquement adaptés et plus résistants à la sécheresse estivale. Qu’entendent-ils par là ? Les essences allochtones et les arbres génétiquement modifiés vont artificialiser et menacer la biodiversité, la faune et la flore, dont on mesure la richesse lorsqu’elles sont perdues. À terme, nos forêts, qui représentent une source de revenus non négligeable pour nos communes, se transformeront en charge. »
Plus de « mesure » dans la pratique des ouvertures des paysages
Les deux hommes n’ignorent pas les besoins des agriculteurs de montagne qui ont besoin de pâtures pour leurs animaux. « Mais il y a aussi un certain acharnement en matière d’esthétisme du paysage. Couper trop de forêts spontanées, c’est une erreur à éviter dans la vallée de la Thur… 2000 hectares sont destinés à « être ouverts » dans le Plan local d’urbanisme intercommunal de Saint-Amarin. Nous demandons que le principe de précaution climatique et de biodiversité mette l’arbre et l’arbuste au centre du dispositif de gestion. Et également que la mécanisation soit évitée. Certaines ouvertures présentent un réseau de chemins qui défigure le paysage et il faut des temps immémoriaux pour que ce dernier se reconstitue. On peut pratiquer l’ouverture mais il faut être plus « mesuré » dans la manière de le faire. »
« Ce sont certes des griefs, mais issus de malheureuses constatations. Les forêts sont un bien public et doivent le rester », estiment-ils. Au-delà de leurs constats, Daniel Walter et Albert Gasser préconisent des pistes à explorer en matière d’eau : maintenir les zones humides, repenser l’utilisation sanitaire des eaux potables, installer des toilettes sèches avec recyclage des eaux grises et noires riches en phosphore. « Des actions déjà en application dans les pays nordiques et en Suisse. »